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L’Internationale des riches /A quoi servent-ils ?

L’Internationale des riches

A quoi servent-ils ?

Faire payer les riches ? « C’est absurde, tranche l’industriel Serge Dassault. En réalité, il n’y a pas assez de riches, et ceux qui restent vont partir » (Capital, novembre 2003). S’il n’a pas vraiment de raisons de « partir » – où trouverait-il un Etat assez charitable pour financer ses avions ? –, M. Dassault, cinquième fortune française, martèle un argument classique : les grandes fortunes seraient si peu nombreuses et leurs avoirs globaux tellement insignifiants qu’appliquer à leur endroit une fiscalité « décomplexée  » n’entraînerait pratiquement aucun effet redistributif.

Mais la thèse bat de l’aile. D’après une étude publiée fin mars par le cabinet de conseil Oliver Wyman, la fortune cumulée des millionnaires de la planète s’élèverait à 50 000 milliards de dollars. C’est trois fois et demi le produit intérieur brut américain ; cinquante fois le montant des pertes occasionnées par la crise financière ouverte en 2007 et décrite comme la plus grave depuis 1929.

Ainsi, ponctionner le magot des très riches rapporterait. Beaucoup. Mais, lorsque le ministre des finances britannique projette de taxer les milliardaires étrangers résidant à Londres, ces derniers mettent en cause la « compétence » du gouvernement et menacent de quitter la City pour des cieux fiscalement plus ouatés. Un demi-siècle plus tôt, leurs homologues n’auraient sans doute pas manifesté une telle prétention. En auraient-ils seulement eu la possibilité ?

Dans la plupart des pays occidentaux, la crise des années 1930 puis les mesures fiscales prises après la seconde guerre mondiale sous la pression du mouvement ouvrier avaient écrêté les inégalités. Aux Etats-Unis, le taux d’imposition appliqué à la tranche supérieure des revenus s’établit à 91 % jusqu’en 1964 ; au Royaume-Uni, il s’élève à 83 % quand Mme Margaret Thatcher remporte les élections en 1979 ; en France, le gouvernement de Raymond Barre le porte à 80 % en 1980. Dans ces trois pays, il oscille désormais entre 35 % et 40 %. Les causes de ce bonheur retrouvé sont connues : déréglementation financière, extension internationale de la concurrence, abdication d’une gauche embourgeoisée et convaincue, comme la droite, que l’argent des privilégiés finit par perler sur le front des pauvres.

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Tendanciellement déclinante depuis 1914, la part des 0,1% les plus riches dans le revenu total s’est remise à croître dès la fin des années 1970 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, à la fin des années 1990 en France. Si, dans l’Hexagone, l’éventail des salaires s’élargit sous l’action des rémunérations faramineuses d’une poignée de dirigeants, ce sont d’abord les revenus du capital qui dilatent les plus grandes fortunes. En effet, les milliardaires des XIXe, XXe et XXIe siècles présentent ce point commun : ils possèdent les moyens de production, sous forme d’actions ou de placements.

Les très riches n’ont pas seulement restauré leur surface financière. Ils ont aussi diversifié les formes de leur puissance en s’imbriquant plus étroitement aux autres milieux du pouvoir : médiatique, politique, intellectuel.

Incarnée aux Etats-Unis par le « complexe militaro-industriel  », la classe dirigeante d’après-guerre se composait de diplomates, de politiques, d’industriels et de représentants grisâtres du « vieil argent ». Tous étaient liés à un espace national et s’efforçaient de dissimuler leur connivence. La « superclasse » qui s’étale à la « une » de Newsweek (14 avril 2008) se targue d’exercer une influence d’emblée internationale ; elle mêle – selon l’hebdomadaire – des banquiers centraux et un gourou des médias, les dirigeants de multinationales et le chanteur Bono, l’ayatollah Ali Khamenei et la comédienne Angelina Jolie, les époux philanthropes « Bill » et Melinda Gates.

On en déduirait à tort le délitement des élites nationales. En France, un mesclun de hauts fonctionnaires, de politiques, de patrons et d’intellectuels cimente toujours l’oligarchie. Mais les uns et les autres paraissent se rejoindre dans une commune révérence à l’argent. On sait M. Nicolas Sarkozy, ex-avocat d’affaires, fasciné par le luxe et les paillettes. Tout comme M. Silvio Berlusconi, patron de presse, président du conseil – et troisième fortune d’Italie. Le pouvoir des (nouveaux) riches, c’est aussi celui d’élever un style de vie au rang de modèle universel.

Surexposées dans la presse, les frasques des milliardaires fixent les normes de la vraie réussite. Les yeux rivés sur les cimes de l’opulence, même les riches se sentent déclassés : « Quand on demande aux millionnaires quelle fortune serait nécessaire pour qu’ils se sentent vraiment à l’aise, relève Challenges (12 juillet 2007), ils donnent tous, petits et grands, un chiffre avoisinant le double de leur capital. »

A leurs yeux, le monde se divise en deux camps : une vaste classe moyenne, dont ils se réclament, et le petit club des immenses fortunes, auquel ils rêvent d’accéder. Dans cette représentation, les pauvres n’existent pas. « Si vous amenez tout le monde, riches et pauvres, à penser qu’ils appartiennent à la classe moyenne, note Walter Benn Michaels, alors vous avez accompli un tour de magie : redistribuer la richesse sans transférer d’argent (1). » La recette de l’inégalité socialement soutenable ?

Pierre Rimbert dans le Monde Diplomatique de Mai 2008 



19/05/2008
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