repères, Il y a des valeurs........

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« Humble » enfin ?

« Humble » enfin ?

En 2000, le candidat républicain George W. Bush protesta contre les interventions à l’étranger de l’administration démocrate sortante – celle du président William Clinton –, souvent expliquées par le désir de défendre la démocratie de marché dans le monde. Et il promit que les Etats-Unis redeviendraient une « nation humble »... A l’époque, le pays avait pourtant les moyens de ses ambitions internationales. Il connaissait l’ère de croissance la plus longue de son histoire, son budget était excédentaire, la généralisation des technologies de l’information lui laissait entrevoir un nouvel âge d’or.

On connaît la suite. Embourbée dans deux conflits simultanés et confrontée à une crise majeure de l’immobilier et du système financier, l’Amérique réapprend l’humilité. Elle se contente de hausser le ton quand la Russie écrase l’armée géorgienne, laquelle doit alors rapatrier le contingent qu’elle avait dépêché en Irak pour complaire à Washington. La leçon est rude : se proclamer proaméricain ne garantit plus une immunité militaire. Car des nations ont resurgi, qui équilibrent la puissance des Etats-Unis ; les mouvements de menton de la Maison Blanche ne les effraient pas. Comment peut-il en être autrement quand la Russie, dopée par un taux de croissance annuel de 8 % et par les troisièmes réserves de change de la planète, envisage de tourner le dos à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ? Ou quand, dès son introduction en Bourse, le titre du groupe énergétique chinois PetroChina atteint un niveau de capitalisation (1 000 milliards de dollars) égal à ceux d’ExxonMobil et de General Electric réunis ?

Les grandes impulsions économiques de ces quinze dernières années sont cependant parties, comme autrefois, de New York et de Californie. Au milieu des années 1990, la « bulle Internet » avait diffusé dans le monde une ère d’expansion, avant d’exploser. A l’été 2007, la crise des prêts hypothécaires risqués (subprime) a contaminé l’économie mondiale. S’en tenir à ce rappel serait néanmoins faire bon marché de la perte de crédit du modèle néolibéral appelé « consensus de Washington » et des deux grandes institutions localisées dans la capitale américaine qui procuraient à ce modèle rayonnement et moyens d’action : le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale. La crise financière de 1997-1999 a prouvé que leurs recommandations péremptoires ne garantissaient pas la croissance et qu’elles entraînaient l’affaiblissement des Etats  (1). Pour s’en être dégagée, la Russie s’est redressée. Elle a repris le contrôle de ses richesses naturelles, a remboursé sa dette avant terme et, au passage, le rouble a regagné 60 % par rapport au dollar.

Il n’en faut pas davantage pour que réapparaissent les ruminations moroses de la fin des années 1980 sur la « surextension impériale » des Etats-Unis. A trop avoir sacrifié les dépenses d’investissements à une frénésie de consommation à crédit, à trop avoir privilégié la composante militaire de la puissance, l’Amérique de George Bush aurait sapé les assises financières de son hégémonie. Et elle se retrouve en position de débitrice, voire de quémandeuse, lorsqu’il lui faut solder ses comptes : recours aux fonds souverains des pays pétroliers, accroissement des créances chinoises sous forme de bons du Trésor américains et de réserves de change en dollars, ventes en série de ses fleurons économiques et culturels.

Ainsi, une entreprise contrôlée par des Brésiliens mais localisée en Belgique, InBev, vient de prendre le contrôle du grand brasseur américain Anheuser-Busch. A défaut de satisfaire les buveurs de bière de Saint Louis, la transaction (52 milliards de dollars) est lucrative pour les actionnaires et, compte tenu de la valeur du billet vert, elle n’est pas prohibitive pour les acheteurs. Au même moment, les Européens s’offrent des villas en Floride ; des investisseurs de Dubaï acquièrent le building de General Motors à New York, un fonds souverain d’Abou Dhabi jette son dévolu sur celui de Chrysler, célèbre pour son style « art déco » ; le groupe suisse Roche prend le contrôle de la société de biotechnologie Genentech. En 2007, deux mille entreprises américaines ont ainsi été l’objet de cessions de ce genre, pour une valeur globale six fois supérieure à celle de 2003  (2). Et, de même qu’en France les « talents » qui émigrent à Londres font l’objet de reportages incessants, on évoque à présent aux Etats-Unis « une vague de citoyens nés au pays qui partent à l’étranger à la recherche de nouveaux défis, de nouvelles occasions à saisir, et d’un mode de vie plus satisfaisant  (3) ».

Mais au cœur de la Silicon Valley, naguère traversée par les 4×4, la course aux énergies vertes – sources de profits de demain – a déjà commencé. Il y a quinze ans, après que les achats du Rockefeller Center par Mitsubishi, de MCA par Matsushita et de Columbia Pictures par Sony eurent provoqué un déluge de commentaires angoissés, le président Clinton avait ponctué sa prestation de serment par la formule : « Il n’y a rien de ce qui va mal en Amérique qui ne puisse être guéri par ce qui va bien en Amérique. » Une telle croyance demeure vivace aux Etats-Unis. L’humilité n’est pas ce qui la caractérise...

Serge Halimi



16/09/2008
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